Instabilité antérieure d’épaule

Introduction

L’articulation gléno-humérale est l’articulation dotée des amplitudes articulaires les plus amples de tout le corps humain. En même temps, la configuration anatomique de cette articulation la rend très instable de fait.

Pour illustrer cette instabilité « originelle », on la compare volontiers à une balle de golf posée sur un tee, et à qui on imprimerait une rotation de 90°. Elle serait donc mise en suspension contre l’apesanteur (Figure 1).

Cette particularité anatomique atteste du caractère exceptionnel de cette articulation dans cette position originelle, « instable » par définition, et explique également l’importance accordée aux facteurs stabilisateurs de l’épaule ainsi que les répercussions fonctionnelles péjoratives lorsqu’ils sont déficients.

Facteurs de Stabilité

Il existe de multiples facteurs (osseux, ligamentaires, musculaires, physiques…) qui contribuent à maintenir une épaule en bonne position, c’est à dire, avec la tête de l’humérus en face de la glène de l’omoplate.

En revanche, il n’est pas nécessaire de détailler l’intégralité de ces structures, dont le mécanisme d’action est plus ou moins complexe, mais plutôt de nous arrêter sur les 2 éléments anatomiques principaux à la stabilisation de l’épaule ; le Labrum et le Ligament Gléno-huméral Inférieur (LGHI).

Le Labrum antéro-inférieur (Figure 2)

Il s’agit d’un fibrocartilage inséré tout autour de la glène, qui participe à la stabilité antérieure gléno-humérale par 3 actions.

D’une part, il permet d’augmenter significativement la profondeur de la glène sur un plan antéro-postérieur mais également supéro-inférieur.

D’autre part, il joue un rôle de « cale mécanique » limitant le déplacement de la tète humérale.

Enfin, il remplit la fonction de « ventouse » tout autour de la glène permettant de maintenir la tête humérale.

Figure 2 : Représentation du labrum autour de la glène qui joue un rôle de « ventouse » de la tête humérale pour la maintenir en place

Le ligament gléno-huméral inférieur (LGHI)

Long et résistant, il est avec le labrum inférieur, le seul frein à la luxation d’épaule (Figure 3 ) lorsque le bras est placé à 90° d’abduction et en rotation externe (Armé du Bras). Il faudra, par conséquent, savoir apprécier la fonctionnalité de ces ligaments dans le bilan clinique d’une instabilité d’épaule, qui pourra modifier la conduite à tenir.

Figure 3 : Représentation du rôle fondamental comme frein (ou sangle) inférieur du LGHI

Pour beaucoup d’auteurs, le complexe LGHI-Labrum est un élément anatomique essentiel limitant la translation antérieure de l’épaule notamment en position d’armé du bras.

La luxation d’épaule

Au cours d’un traumatisme, le plus souvent une chute, il survient un déboitement de la tête de l’humérus en dehors de la cavité de la glène. Dans 9 cas sur 10, la tête passe en avant de la glène ; on parle alors de luxation antérieure d’épaule.

Signes cliniques (Figure 4)

Il existe une impotence fonctionnelle complète (le patient ne peut plus bouger son épaule), avec une déformation assez caractéristique de son épaule (signe de l’épaulette).

Figure 4 : Caractéristique déformation avec signe de l’épaulette au cours d’une luxation antérieure d’épaule

Radiographies et Traitement

Les radiographies réalisées en urgence confirment le diagnostic de luxation antérieure d’épaule (Figure 5).

Figure 5 : Radiographies confirmant une luxation d’épaule droite sans atteinte osseuse

Après s’être assuré de l’absence de complications nerveuse, vasculaire ou osseuse, le chirurgien va réduire la luxation (remettre l’humérus en place).

Cela s’effectue par une traction douce du membre avec ou sans anesthésie (Figure 6).

Une radiographie de contrôle doit vérifier que la tête humérale est bien revenue à sa place.

L’épaule est ensuite immobilisée par une attelle simple pour une durée qui dépend surtout du nombre de luxation survenu chez le patient (entre quelques jours à 3 semaines).

Figure 6 : Réduction de la luxation par le chirurgien et contrôle radiographique à droite du bon repositionnement de ma tête humérale

Conséquences anatomiques d’une luxation d’épaule

Contrairement aux idées reçues, une luxation d’épaule est un phénomène grave. En effet, au cours de la luxation (déboitement), la tête humérale créée des lésions capsuloligamentaires aux conséquences plus ou moins sévères.

Le labrum antéro-inférieur et le LGHI, précédemment décrits, se déchirent (Animation 1) et ne cicatrisent pas toujours correctement.

Animation 1 : Illustration d’une déchirure du labrum antéro-inférieur au cours d’une luxation

Une atteinte sévère du complexe labrum-LGHI, et sa non cicatrisation, entrainera un phénomène d’instabilité de l’épaule.

 

Faire le diagnostic d’instabilité d’épaule

Tableaux Clinique

L’instabilité antérieure chronique peut s’exprimer de 3 manières ; les luxations récidivantes, les subluxations récidivantes et enfin, l’entité que l’on nomme « épaule douloureuse et instable ».

La luxation récidivante

Un antécédent de 2 épisodes de luxations documentées par une radiographie ou ayant nécessité la réduction par une tierce personne suffit pour poser le diagnostic d’instabilité récidivante. Le premier épisode survient le plus souvent dans un contexte traumatique et il conviendra, de toute façon, de rechercher des facteurs favorisants tels qu’une hyperlaxité constitutionnelle

La subluxation récidivante

Le patient décrit de multiples épisodes douloureux aigus associés à des blocages ou des ressauts et cessant spontanément ou après réalisation de manœuvres d’autoréduction. Les répercussions sur les activités quotidiennes, professionnelles ou sportives sont assez variables et le diagnostic sera facilement confirmé par un bilan radio-clinique exhaustif.

L’épaule douloureuse et instable

Décrite initialement par Patte, cette entité concerne les douleurs chroniques de l’épaule sans notion de luxation, de ressaut ou de blocage voire, sans notion de traumatisme initial.

Seul l’examen clinique nous oriente vers un problème d’instabilité avec des douleurs reproduites à l’armé du bras. Les examens complémentaires confirmeront cette hypothèse diagnostique et dont la prise en charge sera fonction des résultats de l’imagerie mais également du terrain.

Examen Clinique

L’examen clinique d’une instabilité est assez stéréotypé et simple.

Par nécessité de simplification et la volonté de rester concis, nous insisterons uniquement sur les 2 tests spécifiques permettant la recherche d’une instabilité d’épaule. Il conviendra également de rechercher des signes de complications (nerveuses notamment) ainsi que des prédispositions anatomiques favorisantes telles une hyperlaxité constitutionnelle.

Test d’appréhension antérieure, ou signe de l’Armé ou Manœuvre d’Appley (Figure 7)

C’est le signe essentiel et pathognomonique. Patient assis sur une table d’examen, l’examinateur se place derrière lui et positionne le bras en abduction et rotation externe. L’autre main de ‘examinateur est positionnée sur l’épaule, les doigts longs en avant et le pouce en arrière. Le test s’effectue en appliquant simultanément de la rotation externe et de la rétropulsion de façon progressive tout en imprimant une poussée vers l’avant avec le pouce. Le test est positif s’il déclenche une appréhension ou une crainte chez le patient ou s’il reproduit les douleurs ressenties et pour lesquelles il consulte.

Figure 7 : Manœuvre d’Appley ; Le bras placé en abduction, rétropulsion et rotation externe reproduit la gène ou l’appréhension ressenties par le patient

« Relocation test » ou Test de Recentrage de Jobe (Figure 8)

Le patient est allongé sur la table d’examen, l’épaule à tester placée en dehors de la table.

L’examinateur positionne l’épaule en rotation externe à 90° et en abduction à 90°. Il va ensuite imprimer un mouvement combiné de rétropulsion tout en poussant d’arrière en avant la tête humérale. Le test est positif s’il reproduit la sensation d’instabilité comme sur le test d’appréhension antérieure. L’appréhension ou la douleur disparaissent lorsque l’examinateur repousse la tête vers l’arrière.

Figure 8 : Relocation test Autre manœuvre pathognomonique d’instabilité antérieure d’épaule Le patient allongé, l’épaule positionnée en dehors de la table d’examen, l’examinateur positionne le bras en abduction et rotation externe à 90° et effectue une manœuvre d’ascension de la tête en maintenant le coude au même niveau avec son autre main. Cette manœuvre reproduit l’appréhension qui est automatiquement soulagée lorsque l’examinateur effectue une poussée de la tête humérale vers le sol

Examens complémentaires

Radiographie standard

Le bilan radiographique a pour but de rechercher des signes indirects d’instabilité (Encohe postérieure de Hill Sacks) mais aussi des fractures associées. Mais c’est surtout l’arthroscanner qui constitue l’examen de référence en permettant d’objectiver les lésions anatomiques capsulo-labrales qui favorisent les épisodes d’instabilité.

L’injection intra articulaire d’un produit iodé permet une analyse plus précise, et plus performante avec le plus souvent une déchirure du labrum associée à une déformation plastique des ligaments aboutissant à une cicatrisation « en dedans » de la glène (ALPSA). Il existe plusieurs variantes de l’atteinte du labrum qui sont illustrées sur la Figure 5.

Figure 5 : Représentation schématique des différentes lésions capsuloligamentaires voire chondrales retrouvées dans les instabilités antérieures chroniques. A droite, une lésion de Bankart à l’arthro-scanner

L’arthroscanner permet enfin d’apprécier la qualité du cartilage articulaire et l’intégrité de la coiffe des rotateurs.

Traitement

Techniques

La rééducation

Elle est de toute façon systématiquement indiquée en premier lieu, notamment au décours du premier épisode. Elle consiste à renforcer les muscles stabilisateurs antérieures de l’épaule (Deltoïde antérieur, sous scapulaire…) mais aussi à apprendre au patient d’éviter les gestes qui peuvent entrainer les luxations d’épaule (Armé du bras).

En revanche, si il existe des lésions capsulo-labrales importantes, et que le patient pratique régulièrement un sport de contact (rugby, sports de combats…) il est illusoire de penser pouvoir stabiliser l’épaule uniquement par l’intermédiaire de séances de rééducation.

Dans ces cas, une intervention chirurgicale s’impose pour éviter des phénomènes de luxations récidivantes et éviter à terme une usure de l’épaule (arthrose).

2 techniques existent : la réinsertion arthroscopique du labrum (intervention de Bankart) et la butée osseuse (intervention de Latarget).

Réinsertion du labrum et du LGHI ou Intervention de Bankart (Figure 6)

Initialement décrite à ciel ouvert, cette technique est désormais quasi exclusivement réalisée sous arthroscopie en chirurgie ambulatoire.

Elle consiste en la restitution ad integrum de l’anatomie initiale par réinsertion du bourrelet glénoïdien avulsé ainsi que du LGHI.

Des fils de suture (ou des mini-bandelettes) sont passés au travers du bourrelet glénoïdien avulsé. La réinsertion se fait ensuite à l’aide d’ancres (3 ancres le plus souvent) réparties de façon homogène sur le rebord antérieur de la glène depuis la partie inférieure jusqu’à la partie supérieure.

Une immobilisation postopératoire par attelle type « coude au corps » est maintenue 1 mois en général et le patient est rééduqué souvent jusqu’au 6ème mois.

Figure 6 : Réparation d’une lésion de Bankart, en reconstruction 3D sur image de haut et avec vue arthroscopique en bas

Butée osseuse ou Intervention de Latarget (Figure 7)

Décrite au début des années 1950 par le Français Latarjet et l’Anglo-Saxon Bristow, elle reste la technique de référence en France.

Effectuée à « ciel ouvert », elle nécessite la réalisation d’une ostéotomie de la coracoïde à sa base (son genou) qui est placée puis fixée de façon affleurante au bord antérieur de la glène.

Figure 7 : Intervention de Latarget. La coracoïde est coupée à sa partie proximale et positionnée sur la partie antéro-inférieure de la glène, ici en position couchée et stabilisée par 2 vis. A noter, la présence du coraco-biceps qui participerait également à la stabilisation de l’épaule en position d’armé du bras

Récemment, certains auteurs ont publié des séries de patients opérés par cette technique par une approche exclusivement arthroscopique.

La réalisation de cette procédure sous arthroscopie est techniquement difficile et n’apporte, à ce jour, aucune amélioration objective sur la fonction ou sur la stabilité postopératoire.

En revanche, les multiples complications recensées sur cette approche arthroscopique nous ont incité à revenir sur une procédure « classique » et plus sure pour les patients.

Dans notre pratique, cette chirurgie est réalisée en ambulatoire, par mini abord cutané (5cm en moyenne). La butée est placée de façon « couchée » et stabilisée par 2 vis. Un renforcement secondaire est effectué en suturant la capsule articulaire à un reliquat de ligament (ligament acromio-coracoïdien) laissé volontairement accroché à la coracoïde (triple verrouillage de Patte).

Une immobilisation postopératoire n’est pas systématique comme la rééducation qui ne sera prescrite à 1 mois uniquement en cas de besoin.

Il est important de contrôler à distance par une radiographie mais surtout un scanner le bon positionnement de la butée osseuse ainsi que la bonne ostéo-intégration à la glène (Figure 8).

Figure 8 : Contrôle radiographique à gauche et scanner de la bonne position de la butée et de la bonne fusion osseuse (scanner)

Indications chirurgicales

Dans notre pratique, seuls les patients appartenant à l’entité « épaule douloureuse et instable » voire certaines primo-luxation d’épaule sont des indications de stabilisation par une intervention de type Bankart arthroscopique.

Dans tous les autres cas, et notamment en cas d’antécédent de luxations récidivantes documentées ou en cas d’hyperlaxité constitutionnelle, nous privilégierons la réalisation d’une butée osseuse par mini abord et avec verrouillage complémentaire. Cela offrira davantage de garanties sur le résultat final et sur le risque de récidive postopératoire.

Pascal Boileau a décrit il y a 10 ans l’ISIS Score (Figure 9) qui permet, par l’étude de 6 facteurs de risque facilement identifiables dans le bilan radio-clinique pré-opératoire, de déterminer quelle technique chirurgicale proposer au patient.

Figure 9 : ISIS Score. Un score < 3 orientera vers une technique arthroscopique (intervention de Bankart) tandis qu’un score ≥ 4 sera plutôt en faveur de la mise en place d’une butée osseuse.

Conclusion

L’instabilité antérieure d’épaule est une pathologie courante touchant le sujet jeune et sportif. L’évolution naturelle est souvent péjorative puisqu’elle entraine à moyen ou long terme des lésions chondrales irréversibles avec les conséquences que nous connaissons sur la fonction et la douleur.

Par ailleurs, elle limite significativement la pratique d’activités sportives voire usuelles du sujet jeune.

Une rééducation spécifique visant à renforcer les stabilisateurs antérieurs de l’épaule mais aussi à éviter les positions favorisants les luxations sera systématiquement mise en place et permettra dans certains cas de corriger l’appréhension ressentie et une reprise des activités.

Dans d’autres cas, l’importance ou la sévérité de certaines lésions anatomiques capsuloligamentaires n’est pas suffisamment corrigée par la kinésithérapie et nécessite une stabilisation chirurgicale.

Les modalités de ce traitement dépendent de nombreux critères, à commencer par les habitudes du chirurgien, même si le choix de la procédure est de mieux en mieux codifié en permettant au praticien de s’adapter au cas par cas au patient qu’il a à prendre en charge.